vendredi 11 avril 2014

Sergent Becci Taylor, expérience d'une femme au front en Afghanistan

Il y a quatre jours, le Général Sir Peter Wall s'est exprimé en faveur pour l'ouverture des unités spécialisées en combat rapproché aux femmes dans l'armée de terre britannique qui compte déjà 10% de femmes dans ses rangs. La question de la place des femmes en première ligne dans les conflits est toujours sujette à discussion pour des raisons diverses (tradition, idéologie, supériorité musculaire de hommes sur les femmes) mais pas les bonnes. L'opinion publique considère souvent que les femmes n'ont pas la force physique requise pour remplir à bien ces fonctions, mais c'est souvent un faux problème puisque les femmes de ces unités ont passé les examens pré-requis et les entraînements avec succès (ce qui font donc d'elles de bien meilleures combattantes qu'un homme lambda sans entraînement, il faut quand même avoir l'honnêteté intellectuelle de le reconnaître). Les véritables raisons qu'invoquent les hauts dirigeants de l'armée sont plutôt d'ordre pragmatique: l'armée est un univers masculin et les femmes auront plus de mal à s'intégrer car l'institution militaire repose entièrement sur le travail d'équipe et le sentiment de camaraderie et de respect de la hiérarchie, or pour ce faire il faut avoir confiance en ses camarades et supérieurs. Le problème est donc dans la relation entre les hommes et femmes au sein d'une unité: les hommes militaires peuvent ne pas faire confiance en leurs camarades féminins à cause des préjugés persistants et les femmes peuvent se sentir exclues, voir en danger puisqu'elles sont en minorité (et pour cause, le taux de viols au sein de l'armée est alarmant). Néanmoins, il faut faire face à la réalité : depuis que les femmes ont pu intégrer l'armée, et que cela soit en tant qu'infirmières, pilotes d'avion ou dans l'infanterie, elles ont toujours été présentes sur le front dans les unités de support (comme les infirmières) ou les unités spécialisées. Elles sont donc exposées aux mêmes dangers que les unités de combat.   Certains pays qui reconnaissent cet état de fait, comme la France, la Norvège ou le Canada ont déjà intégré des femmes soldates dans les unités de combat par souci d'égalité et de reconnaissance. Récemment, ce sont les Etats-Unis et l'Australie qui ont promis de faire de même d'ici les deux années à venir. Le Royaume-Uni est en passe de rejoindre ces pays et c'est donc l'occasion de se plonger dans la réalité des faits au travers du témoignage du Sergent Becci Taylor, femmes britannique ayant servi en Afghanistan.
Sergent Becci Taylor de l'armée de terre britannique
Pour sa première mission en Afghanistan, Taylor se trouvait alors à quelques mètres d'une bombe armée contenant assez d'explosifs pour tuer 10 hommes lorsque les balles ennemies furent tirées. Un groupe de Taliban les avaient pris pour cible, elle et ses trois camarades, mais Taylor agit rapidement : « je les ai vus et j'ai tiré sur eux, puis les paras qui étaient en charge de nous protéger pendant que nous désamorcions la bombe sont arrivés et les ont chassé. » Elle ajoute « tu ne penses pas, tu agis. L'adrénaline monte et l’entraînement te revient puis tu te concentres sur la situation. J'étais plus inquiète pour la sécurité des autres que la mienne. » Taylor, âgée de 31 ans maintenant, a pris la décision de s'enrôler à 19 ans car le train-train quotidien l'ennuyait déjà. Le père de Taylor, un pompier à le retraite ayant également servi dans l'infanterie, n'a pas essayé de décourager sa fille. Contrairement à sa mère qui fut prise de panique lorsqu'elle fut déployée en Afghanistan en 2010. Le conjoint de Taylor, également dans l'armée, comprenait bien les risques du métier mais était soulagé lorsqu'elle revint de sa mission.

Sur le terrain


En tant que spécialiste d'électronique militaire chez les Royal Signals (spécialistes des systèmes d'information et de communication qui sont souvent les premiers envoyés au combat), Taylor était la seule femme parmi les 80 hommes de son camp. Son travail était de bloquer le contact entre les bombes et leur détonateur à distance afin de les désamorcer. Pendant que son supérieur coupe les fils, Taylor fait en sorte qu'aucun signal n'atteint la bombe avant le désamorçage total. Un manque de concentration de sa part serait fatal.
Lors de sa première mission, son travail fut de déconnecter un dispositif explosif improvisé placé par les Talibans. Un véritable piège électronique sophistiqué qui prit plus de 7 heures à mettre hors-service. « Je n'avais rien à manger pendant toute l'opération, j'avais seulement de l'eau. Il faisait un froid de canard et je ne pouvais presque plus sentir mes pieds. Ce jour là on nous a lancé dans le bain d'eau froide, mais heureusement personne n'a eu de ''mauvaise journée au bureau'' ». Une « mauvais journée au bureau », en d'autres termes pour les militaires anglais, personne n'a été blessé ou tué durant l'opération. Le supérieur de Taylor l'a désignée pour rejoindre l'équipe en charge du désamorçage des bombes (bomb squad), une unité où très peu de femmes sont envoyées.  « Quand tu es assigné, tu ne vas jamais refuser, mais j'étais contente de faire ce travail. Je travail sur les signaux électroniques et la plus grande partie de ce que je fais est intangible. Quand tu as participé au désamorçage d'une bombe, tu peux  seulement voir le résultat à la fin et tu sais que c'est toi qui a fait la différence. Des gens seront en sécurité grâce à ton travail. »

Becci Taylor
Photographie du Sergent Becci Taylor

L'importance du travail de désamorçage des bombes


Le désamorçage des bombes est le travail le plus dangereux au monde et entre Janvier et Mars 2011, l'une de ces sept unités britanniques a perdu trois membres au début de leur mission. Aussi, c'est le type de bombe que Taylor a désamorcé qui a tué le Capitaine Lisa Head plus tôt dans la même année. Head était la première femme experte en désamorçage de l'armée britannique. Un coup dur pour la famille de Head, mais aussi pour les membres de son unité. « c'est impossible de ne pas penser à la mort. Parfois quand je sors du camp je ressens une gène et lorsque je retourne au camp je suis soulagée d'être rentrée en une seule pièce. Je ne pensais pas à ça tous les jours, mais la mort et les blessures font parti de notre quotidien et ça serait un mensonge de dire que je n'y pense jamais. » Car l'équipe de Taylor a eu son lot d'émotions fortes: «Il y avait cette fois ou nous étions 22 et nous avons marché sur une plaque de pression (détonateur).  Aussi incroyable que cela puisse paraître, la bombe n'a pas explosé. La pire chose qui puisse arriver lorsque tu es en mission, c'est de rentrer et d'apprendre que quelqu'un a été tué. » Les bombes placées par les Talibans, surnommées « confettis » par les soldats de l'armée britannique, sont néanmoins dangereuses. Elles sont composées d'explosifs mais également de clous et de ferraille afin de maximiser les dégâts, ce qui en fait des armes mortelles. L'équipe de Taylor faisait partie de l'opération soufre (Brimstone) qui avait pour mission de nettoyer le village de Char Coucha, un vaste travail de déminage afin de rendre le village à nouveau habitable. « Les Talibans avaient forcé les villageois à placer les bombes dans leurs maisons, puis ils ont chassé tous les habitants du village. Notre travail était donc de sécuriser l'endroit pour permettre aux familles de revenir. » 

Le journal The Mirror compare le récit du Sergent Becci Taylor au film télévisé britannique "Our Girl", une fiction racontant l'histoire d'une jeune femme, Molly Dawes, s'engageant dans l'armée dans l'assistance médicale et se retrouvant au front en Afghanistan. Le film est peu connu et est donc difficile à trouver mais il est de bonne qualité et permet un aperçu de l'entrainement obligatoire que les nouvelles recrues féminines doivent passer afin de devenir militaire (y compris pour le corps médical de l'armée).

Sources:
Pour lire l'entretien complet en anglais : http://www.mirror.co.uk/news/real-life-stories/female-soldier-describes-life-frontline-1775718
Général Sir Peter Wall sur l'ouverture des unités de combat aux femmes : http://www.theguardian.com/uk-news/2014/apr/06/british-army-women-combat-roles-general

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